ENIEME SUITE DE LA SAGA PERRUCHE

Alors que l’on pensait la saga Perruche terminée, la Cour de cassation démarre un nouvel épisode en reconnaissant que les enfants nés avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 pourront agir sur le fondement de la jurisprudence Perruche, et ce indépendamment de la date d’introduction de leur demande en justice (Civ. 1ère, 15 décembre 2011, n°10-27.473).

Rappelons que cette saga a débutée par un arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation en date du 17 novembre 2000, dans lequel la Cour a reconnu l’indemnisation du préjudice tant moral qu’économique des parents, mais a surtout admis le préjudice de l’enfant du fait d’être né handicapé.

« Dès lors que les fautes commises par le médecin avaient empêché la mère d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues » (AP, 17 novembre 2000, Perruche).

Suite au lobby des assureurs et pour limiter les conséquences excessives de cette jurisprudence, le législateur est intervenu. Ainsi l’article 1er paragraphe 1 de la loi du 4 mars 2002 dispose que « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance ». L’action de l’enfant n’est plus recevable.

Concernant l’action des parents, le législateur a, d’une part, durci les conditions de la responsabilité en exigeant l’existence d’une faute caractérisée commise par le médecin et a, d’autre part, limité l’étendue de la réparation au seul préjudice moral.

En outre, les dispositions transitoires, reprises par la loi du 11 février 2005 (art. L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles – CASF), prévoyaient que la loi avait vocation à s’appliquer immédiatement, y compris aux instances en cours.

Suite à l’important contentieux généré par ces dispositions devant la Cour européenne des droits de l’homme, l’article L. 114-5 du CASF n’est applicable ni aux instances introduites avant l’entrée en vigueur de la loi, ni aux dommages survenus antérieurement mais dont l’action serait intentée postérieurement. Ainsi, la date à prendre en compte est celle de la naissance de l’enfant (CEDH, 6 octobre 2005, affaires Draon c/ France et Maurice c/ France).

Or, dans une décision du 11 juin 2010, le Conseil constitutionnel a décidé que le 2 du paragraphe II de la loi du 11 février 2005 était contraire à la Constitution (DC n°2010-2 QPC 11 juin 2010, Viviane L, cons. 23) :
« que si les motifs d’intérêt général précités pouvaient justifier que les nouvelles règles fussent rendues applicables aux instances à venir relatives aux situations juridiques nées antérieurement, ils ne pouvaient justifier des modifications aussi importantes aux droits des personnes qui avaient, antérieurement à cette date, engagé une procédure en vue d’obtenir la réparation de leur préjudice ».

Le Conseil d’Etat a précisé les conditions d’application dans le temps de cet article « le Conseil constitutionnel a en revanche relevé qu’il existait des motifs d’intérêt général pouvant justifier l’application des règles nouvelles à des instances engagées après le 7 mars 2002 au titre des situations juridiques nées avant cette date » (CE, 13 mai 2011, n°317808 et n°329290).

Ainsi, seuls les parents d’un enfant né avant le 7 mars 2002 et qui avaient engagé une action avant cette date, peuvent bénéficier de la jurisprudence Perruche.

La première Chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 15 décembre 2011, revient sur ce principe « si l’autorité absolue que la Constitution confère à la décision du Conseil constitutionnel s’attache non seulement à son dispositif mais aussi à ses motifs, c’est à la condition que ceux-ci soient le support nécessaire de celui-là, que le dispositif de la décision 2010-2 QPC du 11 juin 2010 énonce que le 2 du paragraphe II de l’article 2 de la loi n°2005-102 du 11 février 2005 est contraire à la Constitution, que, dès lors, faute de mention d’une quelconque limitation du champ de cette abrogation, soit dans le dispositif, soit dans des motifs clairs et précis qui en seraient indissociables, il ne peut être affirmé qu’une telle déclaration d’inconstitutionnalité n’aurait effet que dans une mesure limitée, incompatible avec la décision de la cour d’appel de refuser d’appliquer au litige les dispositions de l’article L. 114-5 du CASF » (Civ. 1ère, 15 décembre 2011, n°10-27.473).

La Cour de cassation a admis que les enfants nés avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 peuvent être indemnisés de leur préjudice d’être né handicapé, et ce indépendamment de la date d’introduction de l’action en justice.

Dès lors, nous sommes face à une divergence de jurisprudences entre le Conseil d’Etat et la Cour de cassation. Le premier applique les dispositions légales aux enfants nés avant l’entrée en vigueur de la loi mais qui n’avaient pas engagé d’action alors que la seconde ne fait plus de distinction et n’applique pas les dispositions légales aux enfants nés avant l’entrée en vigueur de la loi, peu important la date d’introduction de l’instance.

Si le Conseil d’Etat ne se rallie que très rarement à la Cour de cassation, dernièrement, il a modifié sa jurisprudence en reconnaissant l’indemnisation des infections nosocomiales endogènes, comme le faisait avant lui la Cour de cassation.

Par ailleurs, les deux interprétations retenues par le Conseil d’Etat d’une part et la Cour de cassation d’autre part amènent à s’interroger sur les suites et notamment sur la rupture d’égalité entre les enfants nés dans un hôpital public et ceux nés dans le privé.

Pour conclure, si cette jurisprudence devait être confirmée, ses effets perdureront jusqu’en 2030 puisque les enfants ont 10 ans à compter de leur majorité pour intenter une action en réparation de leur préjudice (pour un enfant né le 6 mars 2002, ce dernier aura jusqu’au 6 mars 2030).

Virginie RABY